Tokyo pour un instant et le lac Biwa

À Tokyo, la nuit s’allume sans prévenir : les néons illuminent les façades, découpent les silhouettes et guident les pas vers de petits izakaya où la vapeur des plats brouille un instant la rumeur urbaine. Autour d’un comptoir étroit, les conversations se mêlent au parfum du soja grillé. Le lendemain, la ville semble retenir son souffle. Entre deux immeubles anonymes, une ruelle silencieuse dévoile un jardin, une échoppe de papier, un temple que personne ne signale. La lumière franche du jour efface les éclats nocturnes, mais révèle une intimité que l’on découvre seulement en s’écartant légèrement de l’évidence.

Photos Nolwenn Pernin

Non loin d’Asakusa et sur les bords de la rivière Sumida, Kuramae s’avance discrètement, loin des clichés de Tokyo saturé de néons et de gratte- ciel. Ancien quartier d’artisans, il conserve une atmosphère d’atelier à ciel ouvert, fait de façades modestes, d’entrepôts reconvertis et de ruelles où s’attarde l’odeur du bois et de la colle.

Au détour d’une rue, la papeterie Kakimori attire les amateurs d’écriture du monde entier. Fondée en 2010, elle a su transformer un objet banal, le carnet, en expérience sur mesure. On y choisit sa couverture, son format, ses anneaux, comme on constituerait un talisman. Au fond, un comptoir d’alchimiste : des flacons de couleur, des pipettes, des carnets tachés d’essai. Ici, on ne consomme pas, on compose.

Le midi en longeant la rivière Sumida en remontant vers Asakusa depuis Kuramae, on arrive à Asakusa Mugitoro. L’entrée se fait par un escalier de bois qui grince doucement. À l’étage, une salle tatami, un plateau disposé avec précision : bol de riz, tororo mousseux, soupe claire, tempura et une fameuse sauce à base d’igname râpée à ajouter dans le riz. Service en kimono. La lumière est chaude, la conver- sation rare. Par la fenêtre, le fleuve s’assombrit, la TOKYO SKYTREE s’allume, et la vapeur du thé trace un mince nuage entre nous et la ville.

Puis, de l’autre côté de la Sumida, le jardin Mukojima- Hyakkaen, un nom long comme un haïku. Là, le tumulte s’efface. En automne, les érables s’embrasent, on est arrivés un peu tôt, les herbes dansent sous le vent, et l’on distingue au loin la TOKYO SKYTREE, emblème de la skyline de Tokyo, telle une maquette irréelle posée sur l’horizon. La ville paraît soudain très loin, étouffée par le murmure des bambous.

Direction le quartier de Ningyocho, vers la pâtisserie Gyokueidou Hikokuro. Une maison ancienne, fondée au XVIe siècle, où le parfum sucré des haricots rouges plane. On y prépare le torayaki, un dorayaki tigré dont la pâte chaude garde l’empreinte du feu, et le kooriishi, un bonbon clair comme un éclat, si fragile qu’on hésite à le croquer.

Non loin de là, le sanctuaire Koami veille depuis le XVe siècle, discret entre deux ruelles. On dit qu’il porte chance et éloigne le malheur. Dans un recoin, un petit puits abrite une eau limpide où l’on vient laver ses billets pour y laisser couler ses soucis et faire remonter la fortune.

Puis apparait Monzen-Nakacho, un quartier qui s’éveille quand le jour s’éteint. Dans ses ruelles étroites, les lanternes s’allument une à une, des- sinant des halos dorés sur les pavés. Les izakayas s’animent, rires et verres, qui s’entrechoquent, se mêlent à la fumée des grillades. Ici, la nuit a quelque chose de populaire, simple et chaleureux. Au Maguro Standard, on célèbre le thon sous toutes ses formes : rouge profond, fondant, presque sacré ; comme un hommage à la mer qui nourrit Tokyo depuis toujours.

KAKIMORI

€€ / 1-Chome-6-2 Misuji, Taito-ku, Tokyo

ASAKUSA MUGITORO

€€ / 2-Chome2-4 Kaminarimon, Taito-ku, Tokyo

JARDIN MUKOJIMA-HYAKKAEN

€ / 3-Chome-18-3 Higashimukojima, Sumida-ku, Tokyo

GYOKUEIDOU HIKOKURO

€ / 2-Chome−3−2 Nihonbashi Ningyocho,1F, Chuo-ku, Tokyo

MAGURO STANDARD

€€ / 1-Chome−25−4 Tomioka, Koto-ku ,Tokyo

C’est une journée de pluie sur les rives du lac Biwa. Shiga se dévoile dans toute sa douceur. On met le cap sur Otsu, sous la grisaille et l’humidité. L’eau et l’air ne font plus qu’un. On a presque l’impression d’être au bord de la mer.

Arrivée à Otsu, “le grand port”. La ville vit à son rythme tranquille, adossée aux collines, tournée vers le lac Biwa. Il pleut aujourd’hui, les façades se reflètent dans les flaques, et les parapluies sont sortis pour découvrir le sud de la préfecture de Shiga. Le midi, halte à Kusatsu, chez Kuishinboya Shin. Dans sa petite cuisine, le chef concocte des cœurs de fleur de lotus, des aubergines et des crevettes dans l’huile frémissante. On s’introduit dans sa cuisine ouverte pour comprendre le secret de la préparation des tempuras, ce plat de friture typiquement japonais.

L’après-midi, le téléphérique grimpe vers le som- met des montagnes, où se trouve Biwako Terrace, et disparaît dans les nuages. D’ordinaire, la vue sur le lac Biwa est spectaculaire ; aujourd’hui, elle

se devine à travers un voile gris. À Kitakomatsu, une petite localité posée sur la rive du lac, une dame nous aborde sous son parapluie. Elle nous invite à visiter sa vieille demeure, l’une des plus anciennes du village, qu’elle rêve de transformer en chambre d’hôtes. Autour, des canaux serpentent entre les maisons – autrefois, on y rinçait le linge et les légumes. La nuit tombe sur Ogoto Onsen. À l’hôtel Yumotokan Hanare Karoi, on traverse les couloirs pour rejoindre notre chambre. On enfile un yukata, on se glisse dans un bain onsen priva- tif. L’eau brûlante appelle au relâchement après cette journée sous la pluie. On dîne ensuite en tenue traditionnelle dans le restaurant de l’hôtel.

Le lendemain, cap sur Koka, village de potiers. À l’atelier Ogama, on peut s’initier à l’art délicat de la céramique et découvrir le plaisir de modeler la terre de ses propres mains. Ici, le wabi-sabi — la beauté des choses imparfaites — prend tout son sens. Les artisans façonnent la terre avec une lenteur méditative, perpétuant un savoir-faire vieux de huit siècles. Les ateliers voisins laissent leurs portes ouvertes : on y aperçoit des mains enveloppées d’argile, des gestes précis.

Plus au nord, à Omihachiman, le soleil est au rendez-vous. Une barque glisse sur le canal Hachimanbori, entre les saules et les maisons de bois. Le batelier rame et nous fait apprécier une croisière au cœur d’un Japon calme et buco- lique. Déjeuner chez Koukoan, un café-atelier aux allures de galerie. Dans l’entrée, le propriétaire grave des tampons, entouré de dessins et de tasses fumantes. L’endroit, fait de petits espaces intimistes, respire la créativité. Dernière halte chez Fujii Honke, une maison de saké tenue de père en fils. Les bouteilles s’alignent sur les étagères. On goûte un saké léger. Le producteur parle de son métier avec passion et nous raconte la fabrication de cet élixir à base de riz et d’eau.

Il est temps de reprendre notre itinéraire en quit- tant la campagne de Shiga, plus calme que sa voisine Kyoto, et en repensant à cette parenthèse bucolique au cœur du Kansai.

KUISHINBOYA SHIN

€ / 2 Chome-12-27 Kusatsu, Shiga

OGOTO ONSEN
YUMOTOKAN HANARE KAROI

€€€ / 2 Chome-30-7 Nōka, Otsu, Shiga

OGAMA

€€ / 947 Shigarakicho Nagano, Koka, Shiga

KOUKOAN

€ / Moto-7 Ishincho, Omihachiman

FUJII HONKE

€€ / 793 Nagano, Aishocho, Echigun, Shiga

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